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La place de l’Église dans la cité

Quelle place occupe l’Église catholique dans notre société ? La première idée qui vient à l’esprit est celle de savoir si elle est encore majoritaire dans un pays comme la France qui a un long passé catholique. Question devenue davantage présente à l’opinion publique depuis l’élection présidentielle de mai 2017 où les observateurs se sont intéressés avec insistance, comme on a dit, au « vote catholique ». Dans son ouvrage aussi bref que dense Brève apologie pour un moment catholique (Grasset), Jean-Luc Marion membre de l’Académie française, reconnu pour sa compétence philosophique et théologique, raisonne en termes de « moment catholique ». Qu’est-ce à dire ? L’expression peut surprendre. Pour l’auteur, c’est un moment où une communauté comme l’Église catholique peut mettre en œuvre des ressources dont a besoin une société qui cherche à grand peine sa cohésion. Jean-Luc Marion emploie le mot si spécifiquement chrétien de « communion ». En dernier ressort l’Église n’a rien à faire d’autre que d’offrir « sa pratique et son expérience de la communion ». Et cela, est-il souligné à diverses reprises, en sa dimension « universelle ». Telle est la « charge » dont les catholiques ne peuvent s’exonérer.

Une indispensable séparation

De telles affirmations donnent à réfléchir. Comment cette tâche est-elle possible lorsque l’Église se trouve sur tant de points « coupée », dit-on, de la société ? « Séparée » certes de l’instance politique. Et il est bon qu’il en soit ainsi, note très précisément l’auteur. Elle ne l’a pas été suffisamment pendant des siècles. De ce point de vue, la loi de 1905 portant séparation des Églises et de l’État est justement une bonne loi. Elle l’est dans la mesure même où elle effectue la « séparation ». Jean-Luc Marion tient beaucoup à ce mot « séparation » qui en son temps a tellement effrayé les catholiques. Parce que Dieu « sépare » par le fait même qu’il crée, c’est-à-dire établit un monde distinct de lui. On peut noter cette précision : « l’État doit rester neutre précisément et d’autant plus que la société n’est ni neutre ni laïcisée ». C’est ce que beaucoup ne comprennent pas et parmi eux des catholiques. Ici Jean-Luc Marion pourrait citer des textes de responsables ecclésiaux qui naguère, à propos de cette forme d’abstention de la puissance publique, parlaient « d’athéisme d’État ». Pour l’auteur on ne voit pas assez que « la question de Dieu survit ».
Quand on sait combien Jean-Luc Marion est réputé pour sa fermeté doctrinale, on est surpris par cette position sur la séparation. En réalité sa position est que l’Église n’aura un apport de qualité que si elle est réellement elle-même (et non pas, par exemple, une Église d’État). D’autant que l’on dit combien notre société est en crise, et que du même coup la crise de l’Église n’est pas sans relation avec celle de la société. Surprise encore : oui, il y a crise dans l’Église, et il est bon qu’il en soit ainsi. En effet la crise de l’Église est pour ainsi dire permanente. « Elle tourne comme une machine à laver du linge sale » : peut-on dire les choses plus familièrement ? L’Église a sans cesse à se changer elle-même par fidélité à la Parole initiale.

Une évaluation lourde de risques

Quant à la société, J-L. Marion préfère un autre mot que crise : la « décadence ». Jugement sévère. L’auteur ne tient pas au mot sur-employé les « valeurs ». Sa sévérité le conduit à évoquer le « nihilisme ». De ce fait rien ne vaut. C’est le cas lorsque les valeurs se dévaluent au gré de l’évaluateur. Le bien commun n’a de sens, estime J-L. Marion, que par son rapport à la communion. D’où la tâche des chrétiens. D’où aussi le « moment catholique » que suppose la « paradoxale citoyenneté » dont parle un écrit chrétien du IIe siècle, l’épître à Diognète. Ce « moment catholique » réclame, selon J-L. Marion, que l’Église accepte de moins s’occuper d’elle-même (majoritaire ? minoritaire ?) mais d’abord de ce pour quoi elle existe dans le monde.

Un horizon de sens

C’est ici que l’on peut situer l’Église. Elle intervient dans une société dont elle n’a pas la maîtrise. Son rôle n’est pas de régir ou, si l’on veut, de « faire la loi ». Il est de nourrir une relation positive entre l’idée chrétienne de l’homme et les questions, surtout quand elles sont nouvelles, posées aux responsables politiques. L’erreur serait sans doute que l’Église ne tienne aucun compte de l’efficacité des moyens et qu’à l’inverse les acteurs politiques relèguent les fins rappelées par l’Église parmi les prédications sans intérêt social. Faudrait-il dire que finalement les groupes religieux, et donc l’Église, sont dans leur rôle quand ils professent une utopie ? Acceptons qu’on puisse le dire à condition qu’on donne au terme « utopie » une fonction positive : celle de ne jamais cesser de désigner un horizon en lui-même inaccessible (surtout s’il consiste dans la perfection de l’amour selon Dieu), mais sans lequel la société ne peut réaliser aucun pas en avant dans la direction de la vérité, de la justice, de la paix. Maintenir l’espérance en dépit de bien des déboires est pour tous une tâche indispensable. C’est la mission des chrétiens en tant que porteurs d’une « Bonne Nouvelle » pour le monde.

Réflexion en écho à l’ouvrage Brève apologie pour un moment catholique 

L’origine chrétienne de la séparation – laïcité

La mise en valeur de la « séparation » s’accompagne d’un intérêt mineur pour la laïcité en tant que telle. Or on n’en a que pour la laïcité. Pour J-L. Marion, elle est un aspect second. Elle est entrée dans une société qui se voulait encore une société catholique. Sauf pour ceux qui à tout prix, et dès la Révolution de 1789, voulaient se défaire de l’emprise catholique. Il est bien vrai que c’est dans un terreau chrétien qu’est apparue la séparation, et avec elle la laïcité. Le vocabulaire « laïc », « laïcité », trahit lui-même l’origine catholique. Car seule l’Église catholique possède une ferme distinction entre le clerc et le laïc. Cela étant, l’Église catholique peut-elle se dispenser de dire en quoi la laïcité est recevable ? Les évêques de France l’ont fait en toute clarté dans un document de 1945. Il est juste de dire que la laïcité protège l’État contre toute dérive totalitaire. Elle protège l’Église contre la tentation du cléricalisme.

Les limites de la compétence pour l’État

Jean-Luc Marion traite de l’Islam plutôt par allusion que par une véritable analyse. La présence de l’Islam en France est bien une donnée importante de notre situation. La séparation, que cet ouvrage situe au cœur même de la conception chrétienne de Dieu dans son rapport au monde, n’a jamais été perçue de cette manière dans la civilisation arabo-musulmane. Ce qui ne rend pas inutile, bien au contraire, le dialogue islamo-chrétien. On a le droit de penser, donnant raison à J-L. Marion, que l’État se trompe d’objectif en voulant pour sa part « organiser l’Islam ». Les croyances religieuses ne sont pas de son ressort, ni même totalement l’interface religion-société. Il demeure qu’il y a des évolutions possibles pour l’Islam dans nos pays. Mais non pas d’abord à partir de « notre laïcité » prônée comme une évidence alors qu’elle réclamerait une ré-interprétation.

Transition

Jean-Luc Marion élargit un peu trop le tableau lorsqu’il remarque qu’avant la laïcité républicaine déjà la France admettait une pluralité religieuse. Le catholicisme était bien religion d’État. Et l’édit de Nantes n’a été pour les protestants qu’une parenthèse vite close par Louis XIV.
Quant au concordat de 1801 il reconnaissait 3 cultes (catholique, réformé, israélite). Et cette forme de reconnaissance abolie en 1905 (« la République ne reconnaît et ne salarie aucun culte ») n’était pas anodine puisqu’elle incluait la rémunération des ministres du culte. L’Église catholique particulièrement y perdait quelque liberté avec le pouvoir de nomination des évêques que se réservait l’État : ce qui n’était pas un mince pouvoir. On était donc encore assez loin de la séparation selon la loi de 1905 considérée par J-L. Marion comme la solution la plus conforme à la pensée chrétienne.

Un « modèle non politique »

Un modèle non politique pour une société politique : telle doit être l’Église catholique. Il manque probablement à cet essai vigoureux et éclairant d’avoir mentionné la présence souhaitable et même nécessaire d’authentiques chrétiens dans la sphère politique. Et d’avoir suggéré à quel point, dans une situation de séparation, l’Église doit être pour ces acteurs politiques le milieu nourricier de leur inspiration.

Par Gaston Pietri.

 

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