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Autour de la fin de la garde corse du Pape (1662-1668)

GuardiaCorsaPapaleAfterDOrnano copieLes liens de la Papauté et de la Corse sont anciens. Ainsi, depuis Léon IV, pour la protection militaire de Rome. Sous Louis XIV, Roi de France, la garde corse pontificale fut dissoute après une émeute à Rome. L’incident majeur eut lieu en 1662 et la crise jusqu’en 1668 cache des enjeux inattendus !

Les Corses au service de la Papauté

Dès l’époque de Charlemagne (mort en 814), les Corses étaient très actifs en Italie au service des Souverains pontifes successifs. Cela est probablement plus ancien de quelques siècles. Sous le pape Grégoire le Grand, déjà, la Corse est plus présente dans les correspondances papales. Le premier couvent semble d’ailleurs avoir été fondé dans l’île par ce pontife, vers 590. En 829, plusieurs familles corses sont réfugiées à Rome face à l’invasion sarrasine. Cet asile romain des Corses se confirme sous Léon IV, pape jusqu’en 855 : il fait peupler le port d’Ostie de familles corses. Une organisation militaire commence. En 1445, en plein Trastevere romain, la vieille basilique de San Crisogono est érigée en « église nationale » des Corses. On ne parle pas encore de Garde corse. Si San Crisogono est dévolue aux Corses, elle devient aussi le lieu de sépulture des officiers corses des armées du pape. Ainsi, la garde, qui sera dissoute par l’exigence de Louis XIV (1638-1715) en 1664, est une troupe spécifique, ancienne, mais réorganisée entre le dernier quart du seizième siècle et le début du dix-septième siècle, au plus tard entre 1603 et 1607.

Détails sur les troupes : organisation et effectifs

Au XVIesiècle, les Corses se placent dans l’entourage immédiat ou dans la famille des papes, tant comme soldats, comme ecclésiastiques que comme laïcs. On y compte nombre de médecins et savants. Avant 1471, quatre compagnies de cavalerie lourde corses sont payées dans les armées du pape. Mais ces troupes ne sont pas permanentes. Sous Jules II, mort en 1513, les armées papales comptaient 12 000 hommes. En 1527, après le sac de Rome orchestré par Charles Quint et ses troupes autrichiennes, les soldats corses et suisses ont défendu le pape. En 1528, les troupes françaises, en déroute en Italie, ont 3000 Corses. Plus de 600 arrivent à Rome et s’engagent au service du pape Clément VII. Parmi les chefs de ces troupes, Sampiero Corso. En 1571, enfin, des soldats et marins corses servent aux bords des galères du pape et de Venise lors de la victoire de Lépante. C’est la fin des actions militaires strictes des troupes corses. Cela dit, la garde elle-même va être réorganisée et rebâtie, pour assurer la protection de Rome et l’effectif des troupes corses est passé alors à mille hommes en 1595, pour revenir à six cents, trois ans plus tard. En 1603, on compte 800 hommes, soldats d’infanterie pour 600 d’entre eux, et 200 cavaliers lourds, des arquebusiers à cheval ; un chercheur corse, M. Poiron, s’est consacré brillamment à l’étude des effectifs.

Au cœur du drame final

Les Corses veillent à la sécurité de Rome, hors des palais : la troupe a pouvoir de police, escorte les courriers, tient les routes, établit les moyens de luttes contre les multiples épidémies dont la peste. Elle assure le service lors de toutes les manifestations et cérémonies publiques et officielles. Elle lutte énergiquement contre toutes les formes de banditisme. Les Corses comptent parmi les plus hauts officiers de la Papauté. Y compris à la tête de la marine et des galères vaticanes. Encasernée aux deux-tiers de ses effectifs à Rome, la garde est bien perçue en Europe.

C’est de France que viendra l’orage final. Grossissant via Dunkerque. Une place qui appartient alors aux Anglais, et que Louis XIV veut racheter à Charles II, roi de la branche Stuart. Charles II a besoin d’argent frais après avoir retrouvé son trône. En 1662, les trois millions et demi de livres de Louis XIV sont les bienvenus. Mais le monde catholique préférerait un meilleur emploi de cet argent, pour combattre les Turcs. Le pape Alexandre VII veut promouvoir une ligue contre les Turcs, à laquelle s’opposent Louis XIV et Colbert. Des incidents entre ceux qui veulent empêcher le rachat de Dunkerque et partisans du Roi de France. Des bagarres se déclenchent dans ce contexte à Rome, à partir du mois de juin 1662, avec l’arrivée du nouvel ambassadeur du Roi Très Chrétien, le duc de Créquy. Ces rixes opposent les soldats pontificaux et les soldats de l’Ambassade de France. Un Garde corse, Giovanni de Calenzana est blessé au cours d’une rixe. Les Corses sont injuriés par les gens de l’ambassadeur, traités « d’espions du Pape ». Enfin, dimanche 20 août 1662, à la sortie de la messe, les gardes de Créquy poursuivent deux gardes corses, Domenico de Rogliano et Gio Battista d’Ajaccio. Domenico se réfugie chez l’habitant, mais Gio Battista est mortellement blessé. Dans la soirée, les gardes corses sous les ordres du capitaine Savelli de Corbara décident de venger leur camarade aux abords de la place Farnèse où se situe l’Ambassade française. Ils tentent de barrer la route au carrosse de la marquise de Créquy, belle-sœur du diplomate. Elle réussit à échapper à ses assaillants. La pieuse épouse du duc est moins chanceuse lors de son retour nocturne, aux flambeaux. Il est 23 heures. Les Corses lui barrent la route. Un page de vingt ans, Bertaud, est tué à la portière du carrosse par Andrea Crovero (quatrième aïeul de Napoléon via les Ramolino).

Les Gardes français chargent sous les ordres de leur capitaine Antoine Duboys, mortellement touché. Des Corses (une trentaine) attaquent l’Ambassade, malgré les ordres du capitaine de Franchi. Des coups de feu sont tirés des fenêtres. Des passants sont tués, dont un mendiant aveugle, un garçon libraire, un portefaix et deux boulangers. Les tambours battent le rappel, mais rien n’y fait. Le 22 août 1662, huit gardes dont Pietro de Montemaggiore, Carlo d’Ampugnano, Paolo Maria Pozzo di Borgo (ancêtre direct de Charles André Pozzo di Borgo), fils d’un colonel au service pontifical, et le meneur Andrea Crovero (ancêtre direct de Napoléon par sa mère), s’embarquent pour la Corse. Cette attaque met Louis XIV dans une grande fureur. L’affaire est grave, car les mis en cause appartiennent à la noblesse ou aux familles notables insulaires. A Rome une enquête est ouverte, qui sera terminée le 21 novembre. Fabio d’Ajaccio et Paolo Maria Pozzo di Borgo, sont entendus et déposent le 29 août, Pietro Ansaldi de Santa Reparata, le 26 septembre, ainsi que Matteo et Simone de Bastelica. Neuf Gardes sont enfermés aux Carceri Nuove et mis à la torture extraordinaire. Mateo d’Ilario de Pietralba est pendu le 16 décembre sur la Piazza Campo dei Fiori pour le meurtre du capitaine des gardes de l’Ambassade. Louis XIV envoie un corps expéditionnaire dans les possessions territoriales du Pape en 1664 pour laver l’affront : par le traité de Pise, signé le 12 février 1664, il obtient que les Corses soient décrétés hors d’état de servir « tant à Rome que dans l’État ecclésiastique » (Article XII), et la construction d’une pyramide de marbre noir vis-à-vis de l’entrée de la caserne des Corses (Article XIII) « en exécration de l’odieux attentat commis par les soldats Corses contre la personne de Son Excellence le duc de Créquy ». Il fait frapper une médaille punitive. Un légat papal ira à Versailles porter des excuses officielles.

Une colère royale atténuée ?

La colère léonine de Louis XIV mettra du temps à retomber : en 1668, le Pape Clément IX obtiendra du Roi de France la démolition de cette pyramide dégradante. Louis XIV frappera une nouvelle médaille commémorative. Puis des troupes corses (dès 1708 et jusqu’en 1775 au moins) seront à nouveau employées par la Papauté : dans la gendarmerie pontificale. Et tout au long du dix-neuvième siècle, on trouvera encore des Corses, médecins, bibliothécaires, chirurgiens, auprès des divers papes. Les membres des familles bastiaises : les Sisco, Savelli, Viale et Prelà, en sont les plus fameux exemples !

Par Raphaël Lahlou.

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