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La foi passant par nos langues humaines

Pour entendre Dieu nous parler et lui répondre dans la foi, nous allons d’une traduction à une autre. Tel est le sort de l’Écriture que nous recevons, de siècle en siècle, comme forme écrite de la Parole de Dieu. Initiative de Dieu et réponse de l’homme s’entrecroisent à travers les auteurs humains des livres qui composent la Bible et les textes de notre liturgie. Les langues ne peuvent être que des langues humaines. « Dans la Révélation, dit Vatican II, Dieu s’adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu’à des amis. » (Constitution sur la Révélation divine, n°2)

L’origine hébraïque

La Bible s’est écrite sur plus d’un millénaire. Chaque langue a une histoire et, pour la réception, il est bon autant que possible de connaître les conditions de rédaction. Si haut qu’on remonte pour ces écrits, c’est d’abord la langue hébraïque que l’on rencontre. C’est une langue bien différente de nos langues européennes d’aujourd’hui, d’où le désir, chez certains, de recourir à l’hébreu comme à un « retour aux sources », à croire que l’itinéraire du chrétien en comporterait la nécessité ! Tous les chrétiens ne doivent pas se croire tenus de suivre des cours d’hébreu. Là n’est pas l’important, mais seulement de comprendre que bon nombre de livres de l’Ancien Testament sont parvenus à nous à travers des traductions de l’hébreu. Nous croyons en un Dieu qui est entré dans l’histoire. 

L’enjeu d’une traduction

L’enjeu n’est pas — c’est une expérience assez courante — de substituer des mots d’une langue à ceux d’une autre. Ce serait une transposition littérale sans intérêt, car il faut passer par un déplacement d’une culture à une autre. Le passage est risqué : une langue a un génie propre. L’hébreu procède d’un univers mental où, par exemple, il n’est pas fait de différence entre « faire faire » et « laisser faire ». Osons une comparaison avec une pièce musicale… L’auditeur entend du Mozart ou du Beethoven, interprété par un tel dont on n’attend pas une imitation en quelque sorte servile de la première exécution par l’auteur. Nous écoutons en fait des interprètes et nous disons : « J’ai écouté Mozart ou Beethoven. »

De l’hébreu, déjà avant l’ère chrétienne, il y a eu un passage au grec. Le déplacement était d’une portée considérable. Dans la diaspora juive, la ville d’Alexandrie était un foyer culturel que des croyants juifs illustraient par leur science et leur connaissance approfondie de la langue grecque. Leur traduction des livres de l’Ancien Testament connus au IIIe siècle avant l’ère chrétienne s’est appelée la Septante. C’est cette traduction que l’Église chrétienne à l’origine a adoptée. Ainsi s’explique le fait que les écrits du Nouveau Testament, les évangiles eux-mêmes, avant la fin du Ier siècle aient été cette fois directement rédigés en grec. Jésus lui-même n’a rien rédigé et donc ne nous a laissé aucun écrit de sa main. Plusieurs indications montrent qu’il s’exprimait dans une langue sémitique (en cela proche de l’hébreu) et non pas en langue hébraïque. L’hébreu alors était devenu une langue morte, et pourtant une langue conservée avec dévotion puisqu’elle était en fait la langue de la liturgie synagogale telle qu’elle est encore pratiquée par les juifs.

La véritable fidélité

Notre fidélité ne consiste pas à parler en hébreu ni en araméen (c’est-à-dire dans la langue que parlait Jésus). Les chrétiens par conséquent ne peuvent pas confondre conformité à la pensée de Dieu en sa révélation et littéralisme pointilleux.

Ces traductions n’ont jamais voulu et l’Église elle-même s’est toujours refusée à effacer les traces de la présence hébraïque ou araméenne des tournures de langage de certaines expressions : ainsi, en araméen, l’expression familière par laquelle Jésus invoquait le Père, « Abba » (Mc 14,36), terme repris par saint Paul (Rom 8,14 ; Gal 4,6).

De même, dans l’évangile de Matthieu, la prière de Jésus sur la croix : « Eli, Eli, lama sabbactani ? » ; « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27,48)De l’hébreu, en forme d’adhésion à la prière, amen a traversé les siècles, alléluia est si usité qu’on en oublie même son origine hébraïque. Du grec, l’Église a conservé avec une continuité sans faille le Kyrie eleison. Les langues se succèdent. Mais le génie propre de chacune comporte des accents tellement singuliers qu’on a voulu les garder en leur expression originelle. Et l’on comprend ainsi que la transmission n’hésite pas, ici ou là, à garder la saveur d’une formulation qui devient par là le bien commun.

Nécessaire interprétation

L’interprétation entraîne toujours quelque glissement de sens. Et cela paraît un risque : c’est le risque de la communication. Dans le cas des textes que nous reconnaissons inspirés, c’est la Parole de Dieu qui se fait ainsi parole humaine, non d’une humanité générale mais toujours d’une humanité particulière. Passer du monde sémitique au monde grec ne se fait pas à partir d’un contenu qui demeurerait identique en étant simplement « transvasé » d’un contenant à un autre. Un seul exemple parmi d’autres possibles : l’idée de vérité et la façon de l’introduire. L’idée de vérité traverse toute la Bible. Elle trouve en Jésus son sommet : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » (Jn 14, 6) Et encore, s’adressant à Pilate : « Je suis venu pour témoigner de la vérité, et quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » (Jn 18,17) En hébreu, vérité se dit « emet » qui trouve son synonyme dans des termes français tels que fidélité, constance, fermeté. Dieu ne se trompe ni ne trompe l’humain. La variété des situations le trouve toujours cohérent avec son intention et sa promesse. En grec, vérité se dit « aletheia » qui signifie l’exactitude entre ce qui s’est manifesté et ce qu’est la réalité.

C’est d’abord dans le sens de cette exactitude (aletheia) que sera ainsi affirmée la vérité d’une formule concernant la foi. L’univers grec s’est approprié à sa manière la vérité affirmée tout au long de l’histoire biblique. Nous croyons, comme chrétiens, que c’est ainsi que Dieu assume la variété des langues et se manifeste à nous en sa réalité mystérieuse dans le cours de l’histoire.

La pluralité : une réalité positive

Le grec, au temps de Jésus comme dans la suite, a été la langue non seulement écrite mais aussi celle de la prière de beaucoup de communautés chrétiennes. L’Empire romain avait hérité de la pensée des philosophes et des sages de la Grèce. Tel était son univers mental. C’est progressivement, en Occident, que le latin a pris le relais, est devenu la langue parlée couramment d’abord et, peu après, une langue écrite. Les livres de la Bible ont été traduits en latin. Saint Jérôme, au IVe siècle, a été l’auteur de sa traduction intégrale qui se répandra sous le terme de « Vulgate ». Telle est la Bible que, dans les pays occidentaux, les chrétiens ont lue, méditée, proclamée pendant des siècles, ce qui n’a pas empêché des exégètes et traducteurs, par exemple dans la traduction œcuménique (TOB), de travailler à partir des textes originaux hébreux et grecs.

L’attachement à la langue latine s’explique très normalement par une longue histoire qui a été aussi celle de notre liturgie. C’est en 1570, après le Concile de Trente, que le latin est devenu la langue de la liturgie de l’Eucharistie en Occident. Cette décision ne nous autorise pas à dire que le latin est la langue de l’Église catholique, tout d’abord parce que l’Église catholique elle-même n’est pas exclusivement latine. Il existe un Orient chrétien, ce que nous risquons souvent d’oublier. Et dans cet Orient, même si après la séparation de 1054 la grande majorité des chrétiens se trouve dans des Églises dénommées orthodoxes, il existe des communautés catholiques. Ces dernières emploient des langues orientales depuis leurs origines, en fidélité à leur patrimoine spirituel. Les vicissitudes de ces communautés à notre époque devraient nous rappeler combien s’impose à leur égard une fraternelle et respectueuse reconnaissance de notre part. évitons surtout de faire comme si elles devaient, à l’instar de la sphère occidentale, utiliser le latin.

Quant aux langues usuelles, vernaculaires, leur place dans notre liturgie, dans l’esprit des directives de Vatican II, relève de la nécessité d’une participation consciente et active de la part de tous les membres du peuple de Dieu (cf. Constitution sur la liturgie, n°54).

En résumé, l’on peut dire que l’Église a gardé et renouvelle actuellement le souci exprimé par l’adage « la loi de la prière est la loi de la foi » (« lex orandi, lex credendi »). En même temps, la diversité des langues à travers lesquelles nous parvient la Parole de Dieu nous renvoie à l’événement de Pentecôte : « Nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu. » (Actes des Apôtres 2,11) Telle est la motivation première des changements intervenus. Dieu parle à l’homme, l’homme parle à Dieu dans la prière. Les langues sont des langues humaines. C’est Dieu qui assume ainsi la condition humaine.

Par Gaston Pietri.

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