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Le préfet Lantivy, ses peintres et la Vierge !

À Ajaccio se souvient-on du Breton Gabriel de Lantivy de Kerveno, préfet de 1824 à 1828 ? Ses mérites nombreux concernent pourtant aussi l’Église de Corse et la cathédrale d’Ajaccio.

Lantivy, un préfet urbain

Urbain, M. de Lantivy de Kerveno le fut, par ses manières mesurées ; mais probablement plus encore en tant que bâtisseur, le temps d’un beau et marquant passage dans notre île. On lui doit, par exemple, l’élévation de la préfecture, à Ajaccio, sous la direction de l’architecte Alphonse de Gisors, à partir de 1826, et en 1827, la mise en chantier dans la cité impériale du théâtre Saint-Gabriel, ce bel opéra qui périt par le feu dans la nuit du 27 octobre 1927. Et qui, ensuite, fut reconverti en vaste édifice des postes.

Fils de chouan valeureux, Gabriel de Lantivy fut lui, page de Napoléon, puis officier de chasseurs à cheval, avant d’avoir à vingt ans les pieds gelés en Russie. S’il survécut, ce fut amputé du pied droit. Passé dans la carrière préfectorale, à trente-deux ans il posait ses bagages en Corse pour quatre ans. S’il n’a pas laissé dans notre île, loin s’en faut, le souvenir d’un mauvais administrateur ni celui d’un royaliste ultra, faut-il voir dans son ancien attachement impérial la cause de sa rapide disgrâce ? Passé dans les Basses-Alpes, on le révoqua soudain, fin 1828. Dans le flou, pour raisons de santé, ce qui semble suspect, puisqu’il fut plus tard chargé de plusieurs missions consulaires, à Jérusalem puis à Dublin après 1830 ! Il mourut en 1866.

Le patrimoine pictural corse et le souvenir de M. de Lantivy

Le motif le plus important du souvenir corse si positif du préfet Lantivy concerne un tableau. Fin 1819, un ancien chambellan de Pauline Borghese, Auguste de Forbin (à l’image de Lantivy c’est un ex-officier, un grand amateur d’art autant que voyageur – il fut un peintre doué et on lui doit de jolis souvenirs sur la Sicile), commandait à Géricault un tableau religieux. Forbin, successeur à la direction des musées du savant, collectionneur et espion Vivant Denon, avait des origines corses (par des familles du Cap en particulier) et provençales. Sa malice ne soupçonna pas, cependant, les ruses qui finirent par faire passer en Corse ce tableau religieux. Nulle contrebande, mais une sorte de supercherie amicale, conclue secrètement entre Géricault et Delacroix ! L’œuvre prévue était vouée par son thème à la Vierge du Sacré-Cœur. Et elle était originellement destinée à la Cathédrale de Nantes, qui la rejeta, une fois réalisée. M. de Forbin n’imaginait sans doute pas la suite de ce feuilleton pictural. Géricault ne manquait pas de générosité, même si, pour l’occasion, il manquait manifestement d’inspiration : il confia donc de son côté la commande à Eugène Delacroix. Ce dernier avait des liens avec la Corse, ayant passé son enfance auprès de la famille du général Cervoni, héros défunt de l’Empire ! Delacroix avait alors de grands soucis d’argent. Il s’acharna durablement sur l’œuvre, l’esquissa beaucoup, et finalement l’acheva fin 1821. L’accord entre les deux peintres ne fut dévoilé qu’en 1842.

Pourtant, c’est dès 1827 que le préfet Lantivy fit résolument réclamer pour la Corse cette belle Vierge du Sacré-Cœur de Delacroix, alors sous le nom de Géricault, et qu’il l’installa à Ajaccio, dans la vieille cathédrale due à la volonté de Sixte Quint. Elle s’y trouve toujours. Passant par les goûts d’un ancien chambellan et d’un page, la toile mérite, comme celui qui l’offrit à la Corse, de ne pas être négligée ! Au-delà d’un souvenir romantique : c’est de gloire picturale qu’il s’agit. Celle que nous devons rendre à M. de Lantivy en juste hommage !

Par Raphaël Lahlou.

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