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Sectes et Eglise

Une certaine aspiration spirituelle de nos contemporains trouve à s’exprimer en-dehors des religions établies. Il existe d’abord une sorte de « nébuleuse » individualiste où des personnes en quête de spiritualité cherchent leur bien un peu partout et se refusent à toute forme d’adhésion confessionnelle. Cependant il est des groupes à référence religieuse facilement qualifiés de sectes auxquels l’opinion publique de temps à autre s’intéresse vivement. Et cela d’autant plus que le qualificatif « sectaire » est facilement employé pour caractériser tel courant de pensée ou de façon ponctuelle telle intervention de nature religieuse. Est considérée comme sectaire toute tendance d’un groupe à monopoliser le vrai et le bien. Il en découle logiquement à tout le moins une sévérité qui tend à discréditer toute autre tentative de conformité au vrai et au bien. 

Repérer le caractère sectaire

Dans cette logique on comprend que soit jugée sectaire toute forme d’intransigeance. Naguère parmi les catholiques on parlait « d’intransigeantisme ». C’était au temps où le catholicisme en France rejetait ce qui était dénommé « idées modernes », c’est-à-dire issues de la Révolution de 1789. Et par la voix des papes Grégoire XVI et Pie IX cette attitude ecclésiale était jugée la seule conciliable avec les principes catholiques. Aujourd’hui, venant du monde de l’Islam, l’extrémisme religieux est traité en termes de « radicalisation », surtout quand il touche des jeunes à la fois sous la forme d’un fanatisme religieux et d’un terrorisme terriblement inquiétant. Le terme « sectaire » doit-il s’appliquer en pareil cas ? Qu’on l’emploie, si l’on veut, mais sans oublier que le phénomène sectaire a une longue histoire indépendante de ce type de lutte armée.

L’adjectif sert surtout de nos jours à désigner des procédés qui se couvrent, en certains cas, d’une manifestation d’appartenance à des Églises clairement reconnues. La société civile ne les connaît et ne s’en inquiète que lorsque des agissements sont censés porter atteinte à des droits essentiels des personnes ou, comme on dit, à « l’ordre public ». Il arrive que des groupes à référence religieuse, de leur propre initiative, se nomment « Églises ». C’est le cas de « l’Église de scientologie » dont un tract paru en 1995 diffusait l’interrogation : « Y-a-t-il un secret pour être bien avec soi-même et avec les autres ? ». C’est une indication parmi d’autres d’un déplacement notable. Du domaine des croyances religieuses l’intérêt fort souvent s’oriente vers des préoccupations « thérapeutiques », sans pourtant cesser de revendiquer la ligne maîtresse qu’est la spiritualité. D’où l’importance accordée aux guérisons, non sans de sérieuses ambiguïtés.

Le type « secte » et le type « Église »

Ce qui compte en somme est moins le contenu de doctrines parfois étranges que la « forme secte » que des sociologues se sont efforcés d’analyser. Le terme « secte » a une connotation péjorative : en effet, non seulement les groupes concernés le récusent, mais encore, officiellement, aussi bien les pouvoirs publics que l’Église évitent, si possible, de l’employer. Reste l’adjectif « sectaire ». Il est difficile de le rayer du langage, lorsque l’Église en particulier est amenée à s’expliquer sur l’authenticité ecclésiale de certaines manières d’agir. Des sociologues disent qu’il n’existe pas de sectes « absolues ». C’est là une observation de sociologues. Cependant la question posée demeure du rapport et donc de la distinction entre Église et secte aux yeux de l’opinion. Un certain foisonnement de groupes ou communautés a donné prise à des observations parfois rapides mais parfois aussi fondées consistant à voir du sectaire là où la règle et les usages s’avéraient minutieux et rigides.

La différenciation des groupes religieux, dans la période actuelle du brassage des croyances et des appartenances, est une question qu’on ne peut laisser totalement de côté. Les individus ou bien s’installent dans l’indifférence ou bien vont là où les porte un attrait. Surtout quand dans leur enfance ils n’ont connu aucune affiliation confessionnelle ou aucune initiation religieuse. Or nous en rencontrons assez fréquemment dans nos régions d’ancienne tradition chrétienne. Un théologien et sociologue des années 1910-1920, Ernst Troeltsch, s’était attaché à étudier le type « Église » et le type « secte ». Ses travaux méritent d’être actualisés. Toutefois on peut, sur ce sujet, en retenir l’essentiel.

Le protestantisme, en milieu catholique, a été longtemps traité de secte au singulier ou au pluriel, étant donné la fragmentation. à cause du verbe « secare » (couper) il est compréhensible que la Réforme protestante ait été vue comme une coupure d’avec l’Église que nous appelons catholique. Troeltsch a montré comment l’extension du courant de la Réforme a donné naissance à un « type » Église. Quoi qu’en pense la stricte doctrine catholique concernant la définition de l’Église, l’appellation « Églises réformées » est maintenant courante. Les observations de Troeltsch nous parlent, en nous obligeant d’abord à noter les caractéristiques sectaires et, pour des catholiques, en quoi elles nuisent au témoignage évangélique porté par l’Église.

Refuser le « monde » : un trait distinctif

« L’Église envisage le monde comme nécessaire », même quand elle peut se reconnaître obligée de contredire telle position adoptée par le pouvoir politique. « La secte est le genre d’organisation qui envisage le monde comme un milieu entièrement coupable et sans espoir de salut. » Évidemment il est possible et même facile de constater que ces traits se vérifient, selon les cas, à des degrés fort divers. Mais il y a des lignes de fond qu’il convient de repérer. Le « dedans » et le « dehors » sont strictement délimités dans le « type secte » qui n’admet pas facilement des degrés dans la croyance ou la pratique religieuse.

Ici intervient la notion de compromis. Le mot peut être compris dans le sens de concession parfois indue ou en tout cas excessive. On peut se demander s’il s’agit de complaisance. Lorsque le mot « monde », comme il arrive dans certains textes bibliques, signifie « les forces du mal », pactiser est inenvisageable. Mais lorsque le « monde »correspond simplement aux limites de la condition humaine, on conçoit que l’Évangile en son absolu ne peut être vécu que dans le relatif (« le Verbe s’est fait chair » – Prologue de l’évangile de Jean). Les questions viennent certes : l’euthanasie est-elle du domaine du relatif ? en elle-même non ; la guerre fait-elle partie du relatif ? Oui, a-t-on pensé, quand elle est une « guerre juste » ; mais de nos jours il n’est plus de conditions qui a priori légitiment la guerre. On pourrait multiplier les cas où l’absolu et le relatif se présentent dans la ligne du « compromis » au sens que lui donne Troeltsch, un compromis acceptable, sinon jugé nécessaire selon le « type Église ». Compromis, en ce domaine comme en d’autres, rejeté a priori selon le « type secte ».

La secte comporte toujours une forme de retranchement du monde et une tendance à ne voir que de « l’ivraie » là où il existe aussi du « bon grain », sans que l’on puisse voir d’entrée de jeu ce qui constitue la secte. La diversité des accents est légitime. Les textes évangéliques eux-mêmes en comportent. L’enfermement, allant jusqu’à l’impossibilité au moins psychologique de quitter le groupe, est une caractéristique parfois évidente. Les contacts avec l’extérieur sont redoutés comme porteurs de contamination. Autant de traits où il nous faut voir compromise la Bonne Nouvelle du Salut dans le Christ. Il n’y a pas de relâchement dans le fait d’accueillir et d’accompagner des personnes dont la marche vers l’Évangile intégralement vécu est lente et hésitante. Il y faut bien sûr un discernement fait de patience et de stimulation.

Par Gaston Pietri. 

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